1. Le catalanisme a des origines anciennes
Il existe des courants catalanistes depuis que l’Espagne est espagne, mais leur traduction politique a réellement commencé au début du XX° siècle. Par la suite, sous Franco, le pouvoir central veillait à mater les disparités régionales de l’Espagne, avec notamment une politique de mutation des fonctionnaires vers des régions dont ils n’étaient pas originaires afin d’affaiblir les langues régionales et les velléités indépendantes. A la chute du franquisme, les quelques grèves d’ouvriers inspirées par l’idée catalaniste commencèrent à devenir légion et l’idée catalaniste se libéra. La transition démocratique espagnole éteignit quelque temps cette dynamique avant qu’elle ne revienne en force dans l’opinion depuis une dizaine d’années.
2. Le catalanisme est un mouvement trans-partisan
Le catalanisme est un mouvement qui ne s’accorde pas aux catégories droite-gauche habituelles. Ses racines sont d’abord issues de la gauche et cette réalité s’est renforcée dans l’opposition muette à Franco. Pourtant, la situation économique de la région, très en avance par rapport au reste de l’Espagne, explique aussi une partie de la revendication séparatiste, sur des bases de préservation des ressources pour soi, une idée plutôt de droite. Les indépendantistes sont donc issus pour certains de la gauche et pour d’autres de la droite.
3. Des enjeux économiques très forts
C’est qu’au-delà de la question identitaire (la langue, l’idée de nation), le conflit politique opposant la Catalogne au pouvoir central a de nombreuses implications économiques. La Catalogne accueille 18 millions de touristes chaque année et présente le PIB le plus important et le plus stable du pays. Dans un pays dévasté par le chômage, la Catalogne affiche des taux d’emploi très hauts. De plus, elle fournit aux pays une grande partie de sa production agricole et accueille de nombreux sièges d’entreprise. Résultat : la sortie de la Catalogne du pays créerait un bordel pas possible en Espagne.
4. Une plus grande autonomie votée, puis annuléé
En 2005, le Parlement catalan a approuvé un texte issu de deux ans de négociation avec Madrid, lequel prévoyait de nouveaux statuts d’autonomie et la référence à l’existence d’une nation catalane. Sauf qu’en 1010, le tribunal constitutionnel espagnol a invalidé 14 articles de ce texte, dont ceux octroyant plus de pouvoir à la Generalitat catalane (le pouvoir régional) et toute mention à la nation catalane. Or, le tribunal avait été saisi par le Partido Popular de Rajoy. En réaction, une gigantesque manifestation a eu lieu et le discours des indépendantiste s’est durci. Dans la foulée, les indépendantistes accèdent au pouvoir en Catalogne, sous la houlette d’Arthur Mas.
5. Un premier référendum a eu lieu en 2014
Mais ses conditions d’organisation étaient moindres. Deux millions de personnes y ont participé, pour un résultat plébiscitant l’indépendance à 80%. Mais ces deux millions de personnes ne représentaient que 32% du corps électoral, et Madrid n’a rien voulu savoir. S’en est suivi une période de très grand froid entre la Catalogne et le pouvoir central et la condamnation d’Arthur Mas par un tribunal en 2017 pour l’organisation illégale dudit référendum.
6. Les indépendantistes sont majoritaires depuis 2015 en Catalogne
Les élections de 2015 ont porté la coalition indépendantiste menée par Artur Mas au pouvoir sans lui octroyer de majorité absolue. Mais les autres partis sont trop faibles pour réellement peser. Mas doit cependant se retirer au profit d’un autre indépendantiste plus marqué à gauche, Carles Puigdemont. A la suite de cette élection et en conformité avec ses promesses électorales, le président de la généralité a annoncé la tenue d’un référendum sur l’indépendance, les élections de 2015 n’ayant pas permis de statuer avec certitude sur la volonté de la population de la région.
7. Le référendum a été interdit par le gouvernement espagnol
Ce référendum a été organisé sur décision de la région prise le 6 septembre. Depuis 2015, le dialogue était plus ou moins rompu entre Barcelone et Madrid. Estimant que la question de l’autodétermination d’un peuple doit être décidée par le peuple lui-même, les Catalans ont donc organisé un référendum local, ce qui va à l’encontre de la constitution espagnole, laquelle ne reconnaît pas l’existence de nations. Pour surseoir à l’interdiction, la Catalogne inaugure un « régime juridique exceptionnel », manière de dire qu’elle ne prendra pas en compte les décisions de justice éventuelles qui viendraient interdire le vote. Mais Madrid ne l’entend pas de cette oreille.
8. Le gouvernement espagnol a mis en place un attirail de répression très puissante
Arrestation de maires ayant annoncé qu’ils organiseraient le référendum, destruction de matériel électoral, mise sous scellés de bureaux de vote : l’ambiance était donnée, mais la Generalitat a tout de même souhaité maintenir le vote. Résultat, tous les blessés que l’on a vu et les scènes d’une rare violence dans les rues de Barcelone ou de Valence. Ou comment radicaliser une partie des indépendantistes, jusqu’alors totalement pacifiques, et faire basculer dans l’indépendantisme une partie des indécis.
9. La situation est désormais totalement ingérable
Avec 45% de participation et un résultat favorable à 90% à l’indépendance annoncé par la Generalitat, on ne peut pas clairement affirmer que l’idée indépendantiste est majoritaire en Catalogne, mais on peut le supposer. En niant tout simplement l’existence du référendum, Rajoy est passé pour un fou aux yeux des Espagnols et de toute l’Union européenne et sa position apparaît très fragilisée. Pour autant, aucun dialogue ne semble possible entre la Catalogne et le gouvernement central, malgré les exhortations des partenaires européens.
10. L'enjeu européen
Car contrairement à ce qu’affirment les ministres espagnols, une indépendance catalane ne signifierait pas nécessairement la sortie de la région de l’Union européenne – l’exemple de la réunification de l’Allemagne est parlant, en ce sens. Bruxelles est mal à l’aise avec la question, au nom de la non-intervention dans la politique intérieure des Etats – une ligne partagée aujourd’hui notamment par la France. Mais la Catalogne compte aussi des alliés, notamment en Ecosse ou en Irlande et les scènes de violence de dimanche ont en tous les cas marqué les esprits : la plupart des dirigeants européens ont appelé au calme et au dialogue. On sait qu’en général les appels ne servent à rien.