En misant sur l'autoritarisme, l'Espagne réagit à un besoin de reconnaissance par une intransigeance incompréhensible. Elle répond à un nationalisme régional par un nationalisme exacerbé aux relents dictatoriaux.
Elle transforme ainsi les modérés en radicaux, les mous en militants, les incertains en convaincus, les autonomistes en séparatistes...
Les images sont terribles, et les conséquences qui suivront le seront probablement tout autant. Ces policiers chargeant une population non armée, sinon de bulletins de vote. Ces forces de l'ordre qui donnent des coups de pied aux citoyens parce qu'ils refusent de quitter les lieux de vote. Ces commandos masqués qui arrachent des urnes, bousculant tout le monde sur leur passage. Ces gardes casqués qui tirent des balles de caoutchouc, défoncent des portes d'école, blessent sans discrimination...
Peu importe ce qu'on pense des visées indépendantistes des Catalans, on ne peut qu'être d'accord avec Carles Puigdemont, le président catalan, quand il déplore la «violence injustifiée» de Madrid. Une violence totalement disproportionnée qui fait ressurgir les fantômes d'un passé qu'on croyait bien enterré.
On reste interloqué à la vue de ces scènes effrayantes : une telle chose est possible en 2017? Dans un pays démocratique d'Europe?
Des perquisitions dans des salles de rédaction, des fermetures de sites web, des ouvertures de courrier confidentiel? Des centaines et des centaines de blessés, des responsables politiques arrêtés, des aînés rudoyés pour s'assurer qu'ils ne participent pas à... un référendum?
Au moment où le populisme enfle, où la démocratie est en perte de vitesse, où l'Union européenne est remise en question, où les nationalismes régionaux se font sentir en Europe, empêcher des citoyens d'exprimer leur mécontentement à coups de matraque est non seulement contre-productif, mais encore franchement dangereux et inquiétant.
En Catalogne, cela revient à attiser ce qu'on cherche à étouffer, bien sûr. C'est d'ailleurs ce qui s'est produit ces dernières années : Madrid a répondu avec mépris au besoin de reconnaissance de la Catalogne... augmentant d'autant ce besoin au sein de la population.
L'Espagne a ainsi nié un phénomène bien réel comme elle nie aujourd'hui la tenue même d'un référendum auquel ont participé quelque 2,25 millions de personnes.
Sur le continent, cette tentative d'éradication des aspirations d'autonomie risque de les stimuler, ébranlant encore un peu plus une Union européenne affaiblie. Une Union dont le silence est d'ailleurs de plus en plus troublant, comme celui du reste de la communauté internationale, incluant le Canada.
Entendons-nous, Barcelone a aussi sa part de responsabilité dans l'escalade qui a mené aux violences d'hier en forçant un référendum déclaré illégal par tous les tribunaux constitutionnels du pays. L'escalade ne peut jamais être le fait d'un seul acteur, après tout.
Mais l'Espagne laisse peu de place pour une analyse partagée des responsabilités de chacun avec ce coup de force antidémocratique qui doit être dénoncé haut et fort.